Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Cassos : Quand Le Langage Devient Une Arme Sociale

Cassos : Quand Le Langage Devient Une Arme Sociale

Miroir Brisé D’une Méritocratie En Crise

Pour Une Nouvelle Culture De La Dignité

Le mot « cassos » s’est immiscé dans le langage courant avec une désinvolture inquiétante. On le lance comme une boutade, une étiquette commode pour désigner celleux que la société regarde de haut : les jeunes sans diplôme, les habitant·e·s des campagnes en difficulté, les laissé·e·s du système. Pourtant, derrière cette syllabe dérisoire, se dissimule un stigmate redoutable. Il dit tout de la violence symbolique d’une société qui préfère nommer pour exclure plutôt que comprendre pour réparer.

La méritocratie française, longtemps brandie comme un idéal d’égalité, s’effrite à mesure que ses promesses s’éloignent. « Si tu veux, tu peux », répète-t-on à la jeunesse comme un refrain culpabilisant. Ce mantra, en apparence bienveillant, devient le masque d’une hypocrisie structurelle : celle d’un modèle qui prétend offrir les mêmes chances à toustes tout en réservant les clefs du succès à celleux qui ont déjà hérité des bons codes, des bons réseaux et des bons territoires. Les autres, ceux qu’on appelle « cassos », sont renvoyé·e·s à leur supposée incapacité. La société les désigne coupables de leur propre sort, comme si l’effort individuel pouvait effacer la géographie, le capital culturel ou le hasard de la naissance.

Dans les zones rurales, la fracture devient béante. Les jeunes y vivent dans une quasi-invisibilité politique et médiatique. Le manque d’emplois stables, de transports, d’accès à la formation ou à la santé crée un cercle vicieux où la précarité se transmet presque autant que le patrimoine dans d’autres milieux. Ce que la sociologie nomme « dépendance structurelle » se mue en fatalité collective. La méritocratie, censée récompenser l’effort, tourne le dos à ces territoires qu’elle ne regarde plus.

Or, les mots ont une fonction politique. Nommer, c’est définir le réel, et définir, c’est détenir le pouvoir. Le terme « cassos » opère comme une disqualification sociale, un rappel à l’ordre des hiérarchies. Derrière la plaisanterie se cache un mécanisme de domination : en ridiculisant les précaires, on justifie leur marginalisation. En les accusant de vivre aux dépens de la collectivité, on fait oublier la responsabilité d’un système économique qui organise la rareté, détruit les solidarités et transforme la survie en mérite. Comme l’écrivait Pierre Bourdieu, « la misère du monde n’est pas un accident, elle est une production sociale ».

Ce glissement sémantique a des effets concrets. En dépolitisant la pauvreté, le langage neutralise la colère et détourne la responsabilité collective. La précarité devient un état permanent : enchaînement de petits boulots, dépendance à l’aide publique, sentiment d’inutilité. « La galère n’est plus un passage, c’est une condition ». Ce constat devrait interroger la conscience nationale : que reste-t-il du pacte républicain quand la dignité elle-même devient un privilège ?

Pourtant, des voix s’élèvent dans ces territoires qu’on dit oubliés. Des collectifs, des associations, des jeunes refusent de se laisser enfermer dans le regard que la société leur impose. Certain·e·s réinventent le mot « cassos » comme un signe d’autodérision, voire de réappropriation critique. D’autres revendiquent une fierté de classe assumée, une volonté de rompre avec la honte. Il y a, dans cette reconquête du sens, une forme de résistance symbolique : transformer l’insulte en miroir, pour y réfléchir plutôt que s’y perdre.

Redonner sa dignité à chaque existence suppose un changement de regard, mais aussi de politiques publiques. La lutte contre la précarité ne peut se résumer à des dispositifs techniques : elle exige une refondation culturelle et morale. « Une société juste n’est pas celle qui répare les inégalités, c’est celle qui les prévient ». Cette lucidité est la condition d’une renaissance sociale.

Le mot « cassos » ne désigne pas une identité, il révèle un échec collectif : celui d’une République qui oublie que l’égalité n’est pas un slogan, mais une pratique quotidienne. En brisant le miroir du stigmate, nous pourrions peut-être retrouver le visage d’une humanité partagée.

Références principales

  1. Les jeunes ruraux face à la précarité, 2023.
  2. Langage et domination sociale, 2021.
  3. La fiction méritocratique en question, 2022.
  4. Sociologie de la dépendance structurelle, 2024.

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