Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Fracture Générationnelle En France

Fracture Générationnelle En France

Entre Mémoire Idéalisée Et Présent Fracturé

Dépasser La Nostalgie Des Trente Glorieuses Pour Réinventer Le Pacte Social

Il y a, dans chaque conversation entre générations, ce léger décalage entre ceux et celles qui ont connu l’ascension et celleux qui affrontent la stagnation. (Un père se souvient du crédit facile pour sa première maison ; sa fille, cadre précaire, peine à trouver un logement abordable dans la même ville.) C’est tout un pan de la société française qui semble figé entre deux réalités : la mémoire dorée des « Trente Glorieuses » et la conscience lucide d’un avenir incertain.

Les années 1945 à 1975 incarnent encore un âge d’or national : croissance, plein emploi, progrès social. Cette période, magnifiée par la littérature économique, a façonné l’imaginaire collectif d’un pays où l’effort semblait toujours récompensé. Pourtant, ce récit, devenu presque sacré, pèse désormais sur la conscience publique. Il impose un miroir trompeur à des générations qui n’ont pas grandi dans l’abondance, mais dans l’endettement, la précarité et le doute.

« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise », écrivait Jean Monnet. Nous y sommes. Car la France d’aujourd’hui ne souffre pas seulement d’une crise économique : elle souffre d’une crise de comparaison.

Depuis les années 1990, la croissance française s’est ralentie, la productivité a stagné, et les écarts entre patrimoine et revenus se sont creusés. Les générations nées après les années 1980 subissent un double désavantage : elles héritent d’une dette publique colossale et d’un marché du travail fragmenté. Là où leurs aîné·e·s bénéficiaient de la stabilité, elles affrontent la flexibilité forcée. Le rêve d’ascension sociale s’est transformé en lutte pour la survie économique.

Dans ce contexte, les inégalités patrimoniales dessinent les contours d’une injustice silencieuse. Alors que le patrimoine moyen a doublé en trente ans, sa répartition est devenue plus inégale : une minorité détient une majorité de la richesse, tandis qu’une jeunesse hautement diplômée peine à accumuler. Le fossé se creuse non seulement en chiffres, mais aussi en ressentis : l’impression d’avoir été trahi·e·s par un contrat social qui promettait l’équité et livra la frustration.

Certes, les progrès sont réels : éducation plus ouverte, conditions de vie améliorées, sécurité sanitaire accrue. Mais ces acquis collectifs ne suffisent plus à apaiser le sentiment d’injustice. (Lorsqu’une jeune professeure explique qu’elle doit vivre en colocation à trente-cinq ans malgré un emploi stable, ce n’est pas la misère qu’elle dénonce : c’est le déséquilibre du pacte.)

La nostalgie des Trente Glorieuses agit ici comme un poison doux. Elle entretient l’idée qu’un retour à l’âge d’or serait possible, à condition de retrouver les recettes d’hier : croissance, emploi, consommation. Or, ces solutions appartiennent à un monde révolu, fondé sur un modèle industriel et énergétique que la planète ne peut plus supporter. Cette nostalgie, loin d’unir, divise : elle oppose les détenteurs d’un passé idéalisé à celleux qui tentent d’inventer d’autres voies.

Le défi n’est donc pas de restaurer un passé impossible, mais de refonder un avenir crédible. Cela suppose de repenser la fiscalité du patrimoine, de favoriser l’accès au logement, de soutenir l’innovation écologique et sociale. Surtout, cela exige de renouer avec la solidarité entre générations, non par charité, mais par justice. Une société juste n’est pas celle où chacun·e garde ce qu’il ou elle a, mais celle où chacun·e contribue à ce que d’autres puissent vivre dignement.

« Nous ne sommes pas héritiers d’un monde fini, mais les artisans d’un monde à recommencer », écrivait Antoine de Saint-Exupéry. Cette phrase résonne aujourd’hui comme un appel à réinventer la France, non pas contre son passé, mais à partir de lui. Reconnaître la beauté des Trente Glorieuses sans s’y emprisonner, c’est choisir la lucidité sur la nostalgie, l’action sur la plainte.

Car la fracture générationnelle n’est pas une fatalité : elle est un avertissement. Si nous savons l’écouter, elle peut devenir le point de départ d’un nouveau pacte social, plus équitable, plus durable et, surtout, plus humain. C’est à cette condition que la France redeviendra un pays où l’avenir, pour toutes et tous, redevient une promesse plutôt qu’une menace.

Références principales :

  1. Rapport Insee – Revenus Et Patrimoine Des Ménages, 2024
  2. OCDE – Compendium Of Productivity Indicators, 2024
  3. Observatoire Des Inégalités – Rapport Sur L’État Des Inégalités En France, 2025
  4. Banque De France – Le Patrimoine Économique National, 2023

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