Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

Anarchisme 2.0 : Une Méthode Pragmatique Pour Réinventer Le Monde Face Aux Crises

L’Utopie N’Est Pas Un Rêve, Mais Une Manière D’Agir

Quand Le Local Devient Le Laboratoire Du Politique

Il y a des mots qui traînent derrière eux un parfum de scandale. « Anarchisme » en fait partie. Dans l’imaginaire collectif, il évoque encore les bombes du XIXe siècle, les drapeaux noirs et le désordre. Pourtant, à l’heure des crises écologiques, sociales et démocratiques, ce mot retrouve une résonance inattendue. Loin d’un fantasme révolutionnaire ou d’une nostalgie romantique, il s’impose aujourd’hui comme une manière concrète de repenser notre rapport au pouvoir, au travail et à la nature.

(J’ai découvert cette évidence un jour d’assemblée citoyenne locale : sans chef ni hiérarchie, des voisin·e·s trouvaient ensemble des solutions à des problèmes concrets.)

Ce soir-là, j’ai compris que l’anarchie, loin du chaos, pouvait être une forme d’ordre plus juste – un ordre sans domination.

Dans une société saturée de verticalité, où la défiance envers les institutions ne cesse de croître, la promesse d’une intelligence collective fondée sur la confiance réapparaît. L’idée n’a rien d’utopique : elle se déploie déjà dans les coopératives de travail, les associations autogérées ou les communs numériques. Ces espaces expérimentent une autre grammaire du politique, où chacun·e participe selon ses moyens et ses besoins. Comme l’écrivait Gustav Landauer : « La liberté ne consiste pas à être sans maître, mais à n’en avoir besoin d’aucun ». Dans cette perspective, la liberté cesse d’être une abstraction pour devenir un mode d’organisation vivant.

Ce que j’appelle l’éthique de la réparation découle directement de cette vision. Face à la décomposition des liens sociaux, à la dévastation des écosystèmes et à la fatigue démocratique, l’anarchisme contemporain prône le soin plutôt que la conquête. Ce n’est pas la fuite d’un monde abîmé, mais la volonté obstinée de le recoudre. Dans certaines zones à défendre, des collectifs cultivent la terre en dehors des logiques marchandes, reconstruisent des habitats collectifs, réinventent des formes d’entraide et de lenteur. Ces gestes minuscules, souvent invisibles dans le tumulte médiatique, constituent les premiers pas d’une transformation sociale tangible.

(À l’inverse de la course productiviste, ils rappellent que le temps du soin est le temps de la durée.)

Ce refus des utopies totalisantes mérite qu’on s’y arrête. L’histoire du XXe siècle a montré le prix des idéaux trop grands pour l’humain. Les anarchistes d’aujourd’hui ne veulent plus changer le monde par décret, mais l’expérimenter autrement, ici et maintenant. C’est ce que montrent les coopératives qui reprennent des entreprises en faillite, les tiers-lieux qui mutualisent les savoirs, ou les plateformes ouvertes qui refusent la logique propriétaire. En marge, ces expériences prouvent qu’il est possible d’agir politiquement sans passer par le pouvoir central. Ce sont des fragments de société post-domination, modestes mais cohérents.

(Ce n’est pas un « grand soir » qu’ils attendent, mais des matins lucides où chacun·e fait sa part.)

Dans ce contexte, l’utopie retrouve son sens premier : non pas une fuite hors du réel, mais une méthode d’action. L’anthropologue David Graeber écrivait : « Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est semer les gestes d’un autre monde ». Vivre comme si le monde espéré existait déjà, c’est refuser la résignation. C’est transformer son espace de travail, son quartier, sa consommation en terrains d’émancipation. L’utopie devient un exercice quotidien de cohérence. Elle s’apprend, se cultive, se partage.

Certes, les obstacles sont nombreux. L’État, même lorsqu’il se dit participatif, demeure jaloux de ses prérogatives. Le droit de propriété reste un verrou majeur pour les communs. Les initiatives locales se heurtent souvent à la fragilité financière, à l’isolement ou à la suspicion culturelle – celle qui confond désobéissance et désordre. Pourtant, il serait erroné de ne voir dans ces expériences qu’un folklore militant. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les coopératives affichent un taux de pérennité supérieur à la moyenne nationale, les communs numériques structurent des millions d’usages quotidiens, et les projets d’économie solidaire se multiplient dans les territoires.

Je ne crois pas que l’anarchisme doive devenir une doctrine d’État. Mais il peut être une boussole morale et pratique pour notre temps. En refusant la domination, il nous rappelle que la politique commence dans la relation : comment décidons-nous, comment partageons-nous, comment réparons-nous ? Il nous invite à imaginer une révolution douce, sans bannière ni slogans, faite de liens et de patience.

Au fond, « ce n’est pas le pouvoir qu’il faut conquérir, mais les liens qu’il faut tisser ». Dans une époque saturée de discours autoritaires, cette idée sonne comme une respiration. Elle nous rend, enfin, un peu responsables de la société que nous voulons voir advenir.

Références principales

  1. David Graeber et David Wengrow, The Dawn Of Everything, 2021
  2. Pierre Kropotkine, L’Entraide, 1902 (édition française révisée 2020)
  3. Mediapart, « L’anarchisme, la pensée qui dérange encore », juin 2025
  4. Le Monde, « Notre-Dame-des-Landes, la ZAD après la ZAD », avril 2024

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2 réponses à « Anarchisme 2.0 : Une Méthode Pragmatique Pour Réinventer Le Monde Face Aux Crises »

  1. Avatar de Eugene
    Eugene

    Re: « The Dawn of Everything »

    Unfortunately, that book lacks credibility and depth.

    In fact « The Dawn of Everything » is a biased disingenuous account of human history (https://www.persuasion.community/p/a-flawed-history-of-humanity & https://offshootjournal.org/untenable-history/) that spreads fake hope (the authors of  « The Dawn » claim human history has not « progressed » in stages, or linearly, and must not end in inequality and hierarchy as with our current system… so there’s hope for us now that it could get different/better again). As a result of this fake hope porn it has been widely praised. It conveniently serves the profoundly sick industrialized world of fakes and criminals. The book’s dishonest fake grandiose title shows already that this work is a FOR-PROFIT, instead a FOR-TRUTH, endeavour geared at the (ignorant gullible) masses.

    Fact is human history since the dawn of agriculture has « progressed » in a linear stage (the « stuck » problem, see below), although not before that (https://www.focaalblog.com/2021/12/22/chris-knight-wrong-about-almost-everything ). This « progress » has been fundamentally destructive and is driven and dominated by “The 2 Married Pink Elephants In The Historical Room” (https://www.rolf-hefti.com/covid-19-coronavirus.html) which the fake hope-giving authors of « The Dawn » entirely ignore naturally (no one can write a legitimate human history without understanding and acknowledging the nature of humans). And these two married pink elephants are the reason why we’ve been « stuck » in a destructive hierarchy and unequal 2-class system , and will be far into the foreseeable future (the « stuck » question — « the real question should be ‘how did we get stuck?’ How did we end up in one single mode? » or « how we came to be trapped in such tight conceptual shackles » — [cited from their book] is the major question in « The Dawn » its authors never really answer, predictably).

    Worse than that, the Dawn authors actually promote, push, propagandize, and rationalize in that book the unjust immoral exploitive criminal 2-class system that’s been predominant for millennia [https://nevermoremedia.substack.com/p/was-david-graeber-offered-a-deal]!

    One of the « expert » authors, Graeber, has no real idea on what world we’ve been living in and about the nature of humans revealed by his last brief article on Covid where his ignorance shines bright already at the title of his article, “After the Pandemic, We Can’t Go Back to Sleep.” Apparently he doesn’t know that most people WANT to be asleep, and that they’ve been wanting that for thousands of years (and that’s not the only ignorant notion in that title) — see https://www.rolf-hefti.com/covid-19-coronavirus.html. Yet he (and his partner) is the sort of person who thinks he can teach you something authentically truthful about human history and whom you should be trusting along those terms. Ridiculous!

    « The Dawn » is just another fantasy, or ideology, cloaked in a hue of  cherry-picked « science, » served lucratively to the gullible ignorant public who craves myths and fairy tales.

    “Far too many worry about possibilities more than understanding reality.” — E.J. Doyle, American songwriter & social critic, 2021

    « The evil, fake book of anthropology, “The Dawn of Everything,” … just so happened to be the most marketed anthropology book ever. Hmmmmm. » — Unknown

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  2. Avatar de Letizia Doria

    Ah, cher critique passionné, quelle envolée lyrique ! Votre prose est si enflammée qu’on croirait lire le manifeste d’un prophète ayant découvert la Vérité ultime dans une grotte secrète gardée par des éléphants roses mariés. Quelle image ! Mais avant de plonger dans les abysses de votre indignation, permettez-moi de répondre avec une pointe d’esprit, un soupçon d’humour, et peut-être même un zeste de second degré.

    Premièrement, votre analyse semble nous inviter à considérer l’idée que l’histoire humaine est une sorte de train fantôme inéluctable, condamné à rouler sur des rails linéaires vers une hiérarchie éternelle. Intéressant ! Mais alors, pourquoi ne pas profiter du voyage ? Peut-être que les auteurs de *The Dawn of Everything* ont simplement tenté de repeindre le wagon avec des couleurs plus joyeuses. Certes, selon vous, ils ont utilisé de la peinture bon marché et des pinceaux usés, mais au moins ils ont essayé. C’est déjà ça, non ?

    Quant à vos accusations contre le « faux espoir », je dois avouer que cette notion me fascine. Imaginez un monde où l’espoir serait rationnel, mesuré, et validé par des comités scientifiques. Quelle tristesse ! Laissez-nous rêver un peu, voulez-vous ? Après tout, même Don Quichotte savait que ses moulins à vent n’étaient pas des géants, mais cela ne l’a pas empêché de charger à cheval avec panache. Peut-être que *The Dawn* est notre propre Don Quichotte littéraire : imparfait, idéaliste, mais indéniablement divertissant.

    Et ces fameux « éléphants roses mariés » que vous mentionnez avec tant de conviction… J’avoue que je suis intrigué. Est-ce une métaphore pour des forces invisibles qui dirigent notre monde ? Ou bien un clin d’œil à une fête de mariage particulièrement excentrique ? Dans tous les cas, je me demande si ces éléphants ne seraient pas eux-mêmes coincés dans leur propre hiérarchie pachydermique. Peut-être qu’eux aussi rêvent secrètement d’une révolution où les souris prendraient le pouvoir. Qui sait ?

    Enfin, concernant votre méfiance envers Graeber et ses idées sur le sommeil collectif de l’humanité : peut-être avez-vous raison. Peut-être que nous aimons tous trop nos oreillers pour nous réveiller pleinement. Mais si c’est le cas, pourquoi ne pas savourer ces quelques rêves éveillés qu’il nous offre ? Après tout, même un mauvais rêve peut parfois nous inspirer.

    En conclusion, cher critique passionné, je vous remercie pour votre diatribe enflammée. Elle m’a rappelé que l’histoire humaine est bien plus qu’une simple question de faits ou de vérités absolues : c’est un champ de bataille d’idées, de passions et d’imagination. Alors, que *The Dawn of Everything* soit une fantaisie ou non, au moins elle a eu le mérite de faire résonner votre plume. Et ça, c’est déjà une petite victoire contre l’indifférence.

    Avec toute ma légèreté et quelques grains de sel,
    Votre humble lecteur amusé.

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