Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Armes Non Létales Et Dérive De L’ordre Public

Armes Non Létales Et Dérive De L’ordre Public

Quand La Sécurité Devient Une Blessure Collective

Entre mutilations, dérives démocratiques et peur collective : analyse d’un modèle de sécurité en crise

Il fut un temps où la France se vantait d’avoir inventé une doctrine du maintien de l’ordre « à la française », respectueuse des libertés publiques et du droit de manifester. Aujourd’hui, ce modèle s’effrite. Les armes dites « non létales », censées protéger, mutilent. Les manifestant·es tombent, les visages se défigurent, les libertés se fissurent. Derrière chaque tir de LBD, chaque explosion de grenade, se cache une question : jusqu’où une démocratie peut-elle blesser pour se défendre ?

(Le contraste entre l’idéal républicain et la pratique du terrain n’a jamais été aussi criant.)

Depuis l’introduction du Flash-Ball dans les années 1990, puis du LBD 40, la France s’est dotée d’un arsenal que l’on dit « intermédiaire ». Un entre-deux supposé raisonnable entre la matraque et la balle réelle. En réalité, ce « compromis » a servi de tremplin à une militarisation rampante du maintien de l’ordre. La doctrine a suivi le matériel : de la gestion des foules à la guerre des rues, il n’y a parfois qu’un tir tendu. Les blessé·es des Gilets Jaunes, les mutilé·es de Sainte-Soline, les manifestant·es gazé·es à bout portant : autant de visages effacés au nom d’une paix publique devenue prétexte.

La scène de Sainte-Soline, en mars 2023, restera comme un tournant. Plus de cinq mille grenades lacrymogènes tirées sur une foule hétérogène, où l’on trouvait autant d’écologistes que d’habitant·es venu·es observer. Des vidéos ont révélé des propos glaçants : « Tendu, tendu, tendu ! », « Je compte plus les mecs qu’on a éborgnés ! ». Ces mots, prononcés par des agents de la République, disent tout : une violence banalisée, presque jubilatoire.

(La force publique semble parfois oublier qu’elle agit au nom du peuple, et non contre lui.)

Sur le papier, la loi est claire : nécessité, proportionnalité, discernement. Dans les faits, la doctrine est floue, les consignes contradictoires, les contrôles faibles. Le ministère de l’Intérieur définit seul les conditions d’usage de ces armes. Les organes censés contrôler leur emploi dépendent souvent des mêmes structures hiérarchiques. C’est un serpent institutionnel qui se mord la queue : l’État s’auto-surveille et s’auto-absout. Albert Camus écrivait : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde ». En qualifiant de « non létales » des armes qui éborgnent, amputent ou tuent parfois indirectement, nous participons à ce malentendu moral.

Certain·es justifient ces pratiques au nom de l’ordre public. Mais quel ordre justifie que des citoyen·nes perdent un œil pour avoir tenu une pancarte ? Le maintien de l’ordre, tel qu’il se pratique aujourd’hui, semble moins fondé sur la protection des personnes que sur la dissuasion des foules. Et cette dissuasion, habillée de technicité et de statistiques, porte un nom : la peur.

(Or la peur n’a jamais été un fondement durable de l’autorité démocratique.)

Les conséquences dépassent les blessures physiques. Elles entament le pacte civique. Chaque œil perdu devient un symbole ; chaque grenade, un doute sur la légitimité d’un État qui prétend défendre les droits humains. Le citoyen ne se sent plus protégé par la République, mais visé par elle. Et lorsque la confiance disparaît, c’est tout le socle démocratique qui vacille.

Il existe pourtant des alternatives. L’Allemagne mise sur la médiation. Le Royaume-Uni privilégie la désescalade et le dialogue. En France, on continue d’acheter des munitions et d’équiper des drones. L’obsession du contrôle a remplacé l’art du dialogue. Il est temps de repenser cette logique, de redonner sens à la notion d’« ordre » : non pas celui qui s’impose, mais celui qui se construit ensemble.

Je crois qu’une démocratie qui se blesse elle-même finit toujours par se fragiliser. Réformer le maintien de l’ordre, ce n’est pas désarmer la République ; c’est la protéger d’elle-même. Car la sécurité ne se mesure pas au nombre de grenades tirées, mais à la confiance que les citoyen·nes accordent encore à ceux et celles qui les gouvernent.

(Et cette confiance, aujourd’hui, vacille au rythme des tirs de LBD.)

Références principales :

  1. « Doctrine du maintien de l’ordre et usage des armes intermédiaires », revue universitaire, 2023.
  2. « Rapport de la Ligue des Droits de l’Homme sur Sainte-Soline », juillet 2023.
  3. « Instruction commune relative aux armes de force intermédiaire », ministère de l’Intérieur, 2017.
  4. « Conseil de l’Europe : appel à la suspension du LBD », février 2019.

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