Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Le Collège Unique À L’Épreuve Du Temps

Le Collège Unique À L’Épreuve Du Temps

Faut-Il Repenser L’Égalité Des Chances ?

Réflexion sur un pilier en voie d’effritement de l’école française

Le collège unique fut l’un des plus beaux rêves de la République. En 1975, la loi Haby promettait de gommer les frontières sociales dès l’entrée au secondaire : un seul collège pour tous, sans tri précoce, sans hiérarchie cachée. Une promesse simple, presque naïve : offrir à chaque enfant, qu’il soit fils d’ouvrière ou fille de médecin, la même chance d’apprendre. Près d’un demi-siècle plus tard, que reste-t-il de cet idéal ? La réponse tient en une formule que l’on retrouve souvent dans les couloirs des établissements : « le collège unique n’est plus qu’un mythe ».

Car la belle utopie a cédé la place à une réalité autrement plus complexe. Sous couvert d’« autonomie », les établissements se sont peu à peu différenciés : projets attractifs, classes européennes, options rares. Les familles informées s’en emparent, contournent la carte scolaire, fuient les collèges populaires. Ainsi s’installe, insidieuse, une logique de marché : celui de la réputation, du prestige, du « bon collège ». L’école publique, censée unir, se retrouve elle-même hiérarchisée. C’est une ironie cruelle : plus on prétend favoriser la liberté des familles, plus on accroît la ségrégation sociale (comme le montrent plusieurs rapports successifs du ministère de l’Éducation nationale).

On objectera que la politique de compensation a tenté d’enrayer cette dérive : zones d’éducation prioritaire, réseaux REP et REP+, primes aux enseignant·e·s volontaires. Mais ces dispositifs n’ont jamais inversé la tendance. Ils ont souvent stigmatisé plus qu’ils n’ont réparé. Dans certains collèges de banlieue, on manque d’enseignant·e·s titulaires, les équipes changent chaque année, et les ambitions s’étiolent. « La République a voulu égaliser les chances ; elle a souvent nivelé les moyens », rappelait récemment un sociologue de l’éducation. Cette phrase, amère, résume l’essoufflement d’un projet dont les fondations s’effritent.

Il faut dire que le collège n’a jamais été un sanctuaire hors du monde. Il reproduit les fractures qui traversent la société : l’entre-soi, la peur du déclassement, le poids du capital culturel. Les statistiques le confirment : à 14 ans, les écarts de réussite entre élèves favorisé·e·s et défavorisé·e·s se sont creusés depuis vingt ans. Non par fatalité, mais par renoncement collectif. La méritocratie, longtemps brandie comme boussole, n’a de sens que si les points de départ sont comparables. Sinon, elle devient une fable pour apaiser les consciences.

Faut-il alors renoncer au collège unique ? Certainement pas. Mais il faut le réinventer, le repenser à la lumière des fractures contemporaines. Cela suppose de replacer la mixité au cœur du projet éducatif. Non pas la mixité proclamée, mais vécue : celle qui fait se rencontrer des enfants venus de mondes différents, dans des établissements où les moyens sont réellement proportionnés aux besoins. Cela suppose aussi de repenser la carte scolaire, non pour la supprimer mais pour la rendre plus juste, plus dynamique, mieux régulée. Et surtout, cela impose de réhabiliter le collectif : enseignants, parents, collectivités locales doivent redevenir les artisans de l’égalité réelle.

Le défi est immense, mais il est à notre portée. Car l’école reste, malgré tout, le dernier lieu où la République peut encore tenir sa promesse d’émancipation. Le collège unique n’est pas un échec ; il est un rappel : l’égalité ne se décrète pas, elle se construit. Chaque réforme, chaque décision, chaque regard posé sur un élève en difficulté en est une pierre. Et peut-être qu’un jour, nous n’aurons plus besoin de parler de « collège unique » : il sera devenu, tout simplement, le collège de toutes et de tous. (Une société se juge à la manière dont elle éduque ses enfants.)

Références principales :

  1. Le collège unique, de la loi Haby au “Choc des savoirs” – Vie publique, 2024
  2. Les collèges “ambition réussite”, un bilan critique – Observatoire des inégalités, 2023
  3. Rapport sur la mixité sociale à l’école et au collège – Ministère de l’Éducation nationale, 2024
  4. La méritocratie en panne : le point noir de l’école française – Le Point, 2025

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