Décryptage D’une Rhétorique Populiste RN
Analyse Du Rôle Du Bon Sens Dans La Rhétorique Populiste Et Son Impact Sur La Société Française
J’écris cet article parce que, suite à une discussion des plus stratosphériques avec une agricultrice – une femme pleine de vigueur, d’opinions tranchées et de contradictions explosives – je me suis demandé si notre santé mentale collective n’était pas en jachère. Elle pestait contre « les Arabes qui envahissent le pays », avant de reconnaître, sans ciller, que sans eux, personne ne ramasserait ses melons. Le « bon sens » qu’elle brandissait ressemblait à une vieille bêche rouillée : usée, mais qu’on continue de manier comme si elle pouvait encore retourner le monde.
(Peut-être que le vrai drame, c’est qu’elle le croit vraiment.)
Le « bon sens paysan » – cette expression sentant la terre mouillée et le passé idéalisé – est devenu l’argument-massue de certain·e·s pour démontrer que penser trop, c’est trahir son pays. « Moi, je dis ce que je vois, pas ce que les élites racontent ! ». On applaudit la phrase comme une victoire du réel sur la raison. Mais derrière, il y a cette idée douce-amère : mieux vaut une intuition approximative qu’une connaissance dérangeante.
Le problème, c’est que ce bon sens-là est souvent une caricature : un concept de salon rural, inventé par des communicants qui n’ont pas tenu une fourche autrement qu’en photo de campagne électorale. L’extrême droite, fine jardinière du ressentiment, a su en faire une arme rhétorique : flatter les « vrais gens », conspuer les « élites » et promettre une revanche symbolique à celleux qu’on a rendus invisibles.
(Il y a quelque chose de tragiquement beau dans ce tour de passe-passe : transformer la souffrance en slogan.)
Ce rejet du savoir, des experts et des faits tangibles n’est pas une mode : c’est une mutation. Une étude récente montrait que 66 % des Français·e·s pensent que « le bon sens est souvent plus utile que la science ». Voilà donc notre nouvel évangile : l’instinct avant les faits, la conviction avant la preuve. Comme si l’on pouvait réparer un tracteur à coup d’intuition ou soigner une sécheresse à grands discours sur la pluie ou pourquoi pas de processions, bigots en tête !
Les populistes s’en délectent : ils ont troqué les graphiques pour les métaphores et les programmes pour des certitudes de bistrot. Le « bon sens paysan » devient alors la caution d’un anti-intellectualisme chic, celui qui dit : « je ne lis pas, je ressens », comme si ressentir suffisait à gouverner.
(Camus aurait sans doute tweeté : « L’absurde, c’est croire qu’un aphorisme remplace un raisonnement ».)
Mais derrière le rire nerveux, il y a la tragédie. Car si le « bon sens paysan » séduit, c’est qu’il apaise. Dans les campagnes, la colère n’est pas qu’idéologique : elle est vécue. Fermetures de services publics, solitude sociale, sentiment d’être méprisé·e·s par des centres urbains qui ne voient la campagne qu’à travers les vacances ou les reportages de crise. Ce vide, l’extrême droite le remplit avec une rhétorique familière : celle du retour à la terre, de la « France authentique », du monde simple d’avant la complexité. Et ça marche, parce que personne n’aime se sentir bête. On préfère être fièr·e d’être « simple » que coupable d’être perdu·e.
(Le populisme prospère sur la blessure du désamour ; il vend de la reconnaissance à prix d’injustice.)
Alors, que faire ? Peut-être commencer par cesser de rire des « ruraux » quand ils votent mal, et cesser de sanctifier « les experts » quand ils parlent mal. La vérité, c’est que les deux mondes ne se comprennent plus, parce qu’ils ne se parlent plus. Si l’on veut réconcilier savoir et vécu, il faut réapprendre à écouter sans mépriser et à expliquer sans dominer.
Comme le disait Bourdieu : « La sociologie est un sport de combat ». Et aujourd’hui, le terrain de ce combat, c’est la confiance. Il ne s’agit pas de remettre le bon sens au musée, mais de le sortir du tract politique pour le ramener au quotidien, là où il est utile : dans le choix d’une graine, d’un geste, d’un mot juste.
(La société s’effondre avec grâce, comme un champ en friche où poussent des slogans à la place du blé.)
Le « bon sens paysan » n’est pas une alternative crédible aux faits ; c’est un miroir brisé dans lequel chacun·e cherche sa vérité. Mais tant qu’on continuera de confondre authenticité et ignorance, lucidité et arrogance, nous serons condamné·e·s à rire de nos propres ruines. Et moi, lucide mais fatiguée, je lève ma tasse : j’ai perdu foi en l’humanité, mais pas en le café noir.
Références principales :
- Comment l’extrême droite laboure la campagne, Le Monde diplomatique, mars 2024.
- La défiance de la science n’est qu’une traduction du malaise démocratique, École polytechnique Insights, 2024.
- RN et ruralité : une relation pas si évidente, Métropolitiques, 2023.
- Cette étude qui démonte les clichés sur la France rurale, Le Point, juin 2025.








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