Repenser L’Économie Pour Une Société Plus Juste
Pourquoi Il Est Temps De Changer De Boussole
Il y a des questions qui reviennent comme des refrains, et celle du coût du travail en France fait partie de ces obsessions hexagonales dont on peine à se défaire. Derrière l’argumentaire technocratique, un constat simple s’impose : réduire le coût du travail n’a jamais garanti l’émancipation des salarié·e·s, et encore moins la prospérité collective. J’observe au contraire un paradoxe douloureux : plus on promet la compétitivité, plus on s’éloigne d’une société juste, solide, capable de protéger chacun·e. Et je me surprends à repenser à cette phrase attribuée à Simone Weil : « La force ne crée rien ; elle détruit ou elle opprime », tant elle décrit la logique qui s’est imposée depuis vingt ans.
Les allègements massifs de cotisations ont certes permis, ici ou là, de stabiliser l’emploi, notamment au niveau des bas salaires. Mais pourquoi cette mécanique, devenue presque pavlovienne, continue-t-elle de structurer notre politique économique ? Peut-être parce qu’elle rassure : elle donne l’illusion d’un mouvement, d’une action simple à comprendre, presque indolore. Et pourtant, les faits montrent une tout autre réalité : stagnation du pouvoir d’achat, trappes à bas salaires, affaiblissement du financement de la protection sociale, dépendance accrue à des dispositifs compensatoires financés par l’impôt.
Je ne peux m’empêcher d’y voir un choix politique autant qu’idéologique. La gauche mise sur la réduction ciblée des cotisations pour encourager l’emploi ; la droite préfère la dérégulation du droit du travail au nom d’une flexibilité salvatrice. Deux visions qui s’opposent, parfois violemment, mais qui finissent par se rejoindre sur un point : l’oubli de ce qui fait la force d’un pays. On ne bâtit pas une société durable en pressant les salarié·e·s comme des coûts à comprimer, mais en investissant dans ce qui crée réellement de la richesse : l’éducation, la petite enfance, la recherche, la santé. Les pays nordiques l’ont compris depuis longtemps : une fiscalité exigeante peut coexister avec un haut niveau d’innovation, à condition d’en faire un pacte démocratique plutôt qu’un fardeau subi.
À cela s’ajoute une question taboue : comment financer ces investissements ? Les solutions existent, et elles ne relèvent pas du fantasme. Une taxation mieux ciblée des ultra-patrimoines, une lutte renforcée contre l’optimisation agressive, une révision des niches fiscales inefficaces, une réaffectation d’une partie des allègements de cotisations vers des secteurs réellement porteurs. Ce sont des choix de société. Des choix qui traduisent une hiérarchie des priorités, un projet de long terme, une confiance dans la capacité du pays à faire mieux que survivre au moindre coût.
Je crois profondément que la question du coût du travail est une fausse piste. Ce n’est pas en payant moins les ouvrier·e·s que l’on augmente leur pouvoir d’achat. Ce n’est pas en réduisant la solidarité que l’on renforce une nation. Et ce n’est pas en sacrifiant la recherche, la formation ou la petite enfance que l’on prépare la France aux défis économiques, sociaux et écologiques du siècle. Alors oui, il est temps de changer de boussole, de repenser nos priorités, d’ouvrir un débat honnête, exigeant, sur ce que nous voulons vraiment financer et pourquoi.
Les pistes sont nombreuses, les résistances le sont aussi. Mais si nous cessons un instant de regarder le travail uniquement comme un coût et les salarié·e·s comme une variable d’ajustement, peut-être pourrons-nous enfin imaginer une économie plus juste, plus inventive et plus humaine.








Laisser un commentaire