Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Privatiser L’Audiovisuel Public

Privatiser L’Audiovisuel Public

Une Menace Pour L’Économie Et La Démocratie Française

Ce Que Nous Risquons Collectivement

Je prends la plume aujourd’hui parce que « l’époque exige de nous un surcroît de lucidité », pour reprendre les mots de Paul Ricœur. La privatisation de l’audiovisuel public, régulièrement remise sur la table comme une solution miracle aux maux budgétaires du pays, revient s’imposer dans le débat. Une vieille antienne, mais une antienne dangereuse. Et si cette idée séduit par son apparente simplicité, elle masque un bouleversement profond : celui qui consiste à transformer un bien commun en marchandise ordinaire, un outil démocratique en simple ligne comptable. (Je précise ici que cette réflexion s’inscrit dans un moment politique où les appels à la privatisation se multiplient.)

Car l’enjeu dépasse largement la question financière. Il touche à la manière dont nous choisissons, collectivement, de nous informer, de comprendre le monde, de cohabiter avec celleux qui ne pensent pas comme nous. Et il interroge notre capacité à défendre un service public qui, malgré ses imperfections, demeure l’un des derniers remparts contre l’uniformité des récits et la concentration des pouvoirs médiatiques.

Les chiffres brandis pour justifier la privatisation sont séduisants : plusieurs milliards d’euros d’économies potentielles, des recettes nouvelles issues de la vente des actifs, un État allégé. Sauf que les économistes les plus sérieux rappellent que ces économies sont pour beaucoup théoriques. Les dotations publiques, aujourd’hui essentielles au fonctionnement des chaînes, ne disparaîtraient pas entièrement ; et la vente des actifs n’améliorerait pas le déficit public, uniquement la dette.

Ce mirage économique repose aussi sur une méconnaissance du marché. Le paysage publicitaire français est déjà saturé, fragilisé par l’érosion rapide des audiences traditionnelles et l’emprise des plateformes numériques. Imaginer financer une ex-France Télévisions par la publicité seule, c’est croire qu’une maison aux fondations solides peut tenir sans murs. Les professionnel·le·s du secteur, tout comme plusieurs rapports institutionnels, soulignent que ni les revenus actuels ni les perspectives à moyen terme ne permettent de garantir la viabilité d’un modèle entièrement privé. Quant aux antennes régionales, si précieuses pour la cohésion territoriale, elles seraient les premières sacrifiées au nom de la rentabilité.

Mais au-delà du bilan comptable, c’est le bilan démocratique qui inquiète. L’audiovisuel public, tel qu’il existe aujourd’hui, offre un espace d’information relativement protégé des logiques de marché, un lieu où l’exigence de vérité prime – ou du moins, tente de primer – sur l’audience immédiate. Lorsque des dizaines d’organisations professionnelles alertent que privatiser ces médias reviendrait à « livrer l’information aux seuls intérêts privés », elles ne pratiquent pas l’hyperbole : elles décrivent un scénario connu, observé ailleurs, où la quête du clic, du buzz, du choc, remplace patiemment la mission d’informer.

Dans un monde saturé de désinformation, où les réseaux sociaux orientent l’attention bien plus qu’ils n’éclairent la raison, affaiblir l’audiovisuel public est un acte politique majeur. Ce serait accepter que l’accès à l’information devienne une loterie algorithmique, soumise à la capacité financière de chaque foyer ou à la bonne volonté des géants du numérique. Ce serait aussi offrir une victoire symbolique à celleux qui rêvent d’un paysage médiatique uniformisé, débarrassé des contre-pouvoirs et des espaces critiques.

Certains affirment que la privatisation renforcerait la liberté éditoriale. L’argument est séduisant, mais contesté par tous les exemples européens. Ni la BBC, ni l’ARD, ni la RAI – pourtant loin d’être parfaites – n’ont choisi la privatisation pour affronter la crise des médias ; au contraire, leurs pays ont consolidé leur indépendance par un financement stable et une gouvernance renforcée. Ce qu’elles démontrent, c’est qu’un audiovisuel public moderne ne se réinvente pas en renonçant à sa mission, mais en la réaffirmant.

C’est pourquoi je crois qu’une autre voie est possible : celle d’un service public rénové, doté de moyens pérennes, engagé pleinement dans la transition numérique, recentré sur l’information, la culture et les territoires. Rien ne nous oblige à choisir entre l’immobilisme et la mise en vente de notre patrimoine commun. Nous pouvons préférer la transformation à la liquidation.

La question n’est donc pas seulement : combien cela coûte ?

Elle est plutôt : que vaut, pour nous, une information libre, accessible et pluraliste ?

La privatisation, souvent présentée comme une réponse rationnelle, révèle en réalité une vision pauvre de la société : une vision où le citoyen devient consommateur, où la culture devient produit, où le débat devient spectacle. À nous de décider si cette vision nous ressemble – ou si nous aspirons à quelque chose de plus exigeant, de plus digne, de plus démocratique.


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