Pour Une Lucidité Qui Nous Rassemble
Quand Le Quotidien Des Insulaires Révèle Les Failles Du Marché
Je me surprends parfois, en faisant le plein à une station, à retenir ma respiration comme si cela pouvait alléger la facture. La scène est banale, presque rituelle, et pourtant elle dit beaucoup de notre vie insulaire. Le carburant est trop cher en Corse, au point de devenir un révélateur de ce qui se joue dans les coulisses de notre économie. Les chiffres s’additionnent, l’aiguille grimpe, et je me demande comment nous avons laissé cette réalité s’installer au cœur de notre quotidien.
Je défends une idée simple : quand un marché se referme sur lui-même, quand quelques acteurs contrôlent l’accès aux infrastructures essentielles, ce sont les habitant·e·s qui paient le prix, au sens propre comme au figuré. La récente sanction infligée pour entente anticoncurrentielle n’est pas seulement une affaire économique ; elle raconte quelque chose de plus profond, sur nos fragilités et notre capacité à préserver un cadre de vie juste pour toustes.
Les faits sont connus : des entreprises ont verrouillé l’accès aux capacités de stockage pétrolier, écartant des concurrents et contribuant à maintenir des prix élevés. Dans une île sans raffinerie, dotée de seulement deux dépôts, cette décision a des effets en cascade. La concurrence se réduit, les marges se creusent, et la vie de tous les jours devient plus lourde à porter. Nos jeunes, qui rêvent parfois de mobilité et d’horizons plus vastes, se retrouvent face à une facture qui limite leurs déplacements autant que leurs envies.
Je ne peux m’empêcher de ressentir un mélange d’inquiétude et de lucidité. Comme l’écrivait Victor Hugo : « La liberté commence où l’ignorance finit ». Dans notre cas, la liberté commence peut-être par la compréhension de ces mécanismes économiques qui, loin d’être abstraits, façonnent nos routes, nos courses et nos fins de mois. Comprendre, c’est se redonner du pouvoir.
Certes, les entreprises ne sont pas les seules responsables. Notre insularité complique les approvisionnements, réduit les alternatives, renchérit le transport. Beaucoup affirment qu’une île ne pourra jamais bénéficier des mêmes conditions que le continent. Et ils n’ont pas tort. Mais cet argument ne peut devenir un refuge commode pour justifier l’immobilisme ou minimiser les dérives. La complexité n’efface pas la responsabilité.
Ce que j’entrevois, au-delà des sanctions et des chiffres, c’est la possibilité d’un tournant. Une occasion d’exiger plus de transparence, davantage de régulation, une ouverture réelle du marché et, pourquoi pas, d’imaginer des solutions nouvelles, plus sobres et plus adaptées à nos réalités. Nous savons, ici, ce que signifie prendre soin de ce qui est rare : l’eau, les terres, la langue. Pourquoi ne pourrions-nous pas faire de même avec l’énergie, en revendiquant un modèle plus respectueux des insulaires et de leurs besoins essentiels ?
Si nous voulons que la Corse reste un territoire où l’on peut vivre dignement, il nous faudra regarder ces enjeux en face, sans colère mais sans résignation. La lucidité n’est pas un fardeau ; c’est une manière de rester debout, ensemble.







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