De La Propriété Intellectuelle À L’Ère Numérique
Entre Promesse Technologique Et Fragilité Humaine
Un léger souffle précède la note. Ce moment suspendu, presque imperceptible, où le silence devient promesse de musique. Depuis toujours, la création musicale naît dans cet interstice fragile entre l’intime et le partage. « Mais aujourd’hui, ce souffle se charge d’une autre vibration : celle des blockchains, des NFT, de lignes de code qui redessinent en profondeur notre manière de penser la propriété intellectuelle ».
Si ce sujet s’impose avec autant d’évidence en 2025, c’est parce que la musique vit une nouvelle bascule historique. Après le choc du streaming, qui a bouleversé la rémunération des artistes tout en démocratisant l’accès aux œuvres, « la blockchain arrive avec une promesse radicale : rendre visibles, traçables et automatisés des droits longtemps restés opaques ». Pour celleux qui accompagnent les artistes, les institutions culturelles ou les industries créatives (des métiers de conseil, d’analyse, de médiation), cette mutation n’est pas théorique. Elle touche au cœur même des outils, des repères et des équilibres économiques.
Les NFT, ces certificats numériques uniques inscrits sur une blockchain, ne sont pas des œuvres en soi. Ils ne sont ni la musique, ni la mélodie, ni la voix. Ils sont un acte de reconnaissance, une balise posée dans l’océan numérique pour dire : cette création a une origine, une histoire, une valeur. Contrairement aux fichiers audio, duplicables à l’infini, le NFT introduit une rareté symbolique. Il permet d’acheter un album, un morceau, parfois un billet de concert ou un souvenir de scène, en sachant exactement d’où il vient et à qui il est rattaché.
Très tôt, des artistes ont perçu ce potentiel. Des figures internationales comme 3LAU ou Grimes, mais aussi des scènes indépendantes européennes, ont expérimenté ces nouveaux formats. En France, certaines plateformes ont cherché à concilier innovation technologique et respect du droit d’auteur, en intégrant les sociétés de gestion collective dans leurs dispositifs. Ce dialogue est essentiel : « un NFT ne transfère pas automatiquement les droits d’exploitation d’une œuvre. Il atteste d’une propriété numérique, pas d’une cession juridique complète ». Cette distinction, encore mal comprise, est au cœur des débats actuels.
Ce qui fascine, pourtant, c’est la promesse d’une transparence longtemps espérée. Chaque revente, chaque transaction, chaque circulation d’un NFT laisse une trace publique et infalsifiable. Les « smart contracts » peuvent automatiser la redistribution des revenus, garantissant à l’artiste une part à chaque revente, là où le marché secondaire traditionnel l’ignore. Comme le résume l’économiste et spécialiste de la blockchain Primavera De Filippi : « La blockchain permet d’inscrire la confiance dans l’architecture même du système ». Une phrase simple, presque élégante, qui éclaire l’enjeu : déplacer la confiance des intermédiaires vers le protocole.
Mais cette promesse a son revers. La musique n’est pas qu’un actif. Elle est mémoire, émotion, héritage collectif. « L’entrée des NFT dans cet univers a parfois été accompagnée d’une spéculation brutale, de hausses artificielles, de désillusions rapides ». Pour certains artistes émergents, la complexité technique (wallets, clés privées, sécurité) agit comme une barrière invisible. Pour les publics, l’idée de posséder un morceau sans toujours comprendre ce que cette possession implique peut créer un malaise diffus, presque philosophique : que signifie vraiment « posséder » de la musique ?
Historiquement, les droits d’auteur se sont construits pour protéger les créateurs face à l’industrialisation de la culture. De Beaumarchais aux sociétés de gestion collective, il s’agissait de garantir une rémunération équitable dans un monde de reproduction mécanique. La blockchain s’inscrit dans cette longue histoire, mais elle en bouscule les équilibres. Elle individualise ce que les systèmes collectifs avaient mutualisé. « Elle promet l’autonomie, mais questionne la solidarité. Elle accélère, là où le droit avance par précaution ».
Sur scène, lors d’un concert, la musique reste pourtant la même. Les basses font vibrer le sol, la voix se mêle à la foule, la sueur et la lumière composent un langage universel. Les NFT tentent désormais de prolonger cette expérience : billets infalsifiables, souvenirs numériques, accès à des enregistrements uniques. Des fragments de vécu transformés en traces numériques. Une manière de dire : j’y étais, et cela compte.
Ce qui se joue ici dépasse la technologie. Il s’agit d’une redéfinition sensible de la valeur. Valeur économique, bien sûr, mais aussi valeur symbolique, culturelle, humaine. La question n’est pas de savoir si les NFT sauveront la musique, mais s’ils sauront s’inscrire avec justesse dans son écosystème. À condition d’une régulation claire, d’une pédagogie patiente et d’une attention constante aux artistes les plus fragiles, ils peuvent devenir un outil parmi d’autres, au service d’une création plus consciente.
La musique a toujours su traverser les révolutions techniques : du vinyle au streaming, de la scène aux mondes virtuels. Peut-être que la blockchain, si elle reste à l’écoute, apprendra elle aussi à respecter le tempo du vivant.
Références principales
- Les NFT et la propriété intellectuelle : nouveau paradigme juridique – 2024
- Music NFTs and Copyright Challenges – 2023
- Blockchain And The Music Industry – 2024
- Smart Contracts And Artists’ Rights – 2022








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