Les Origines du Scientoscepticisme : Ignorance ou Désillusion ?
Comment Défendre une Science Vivante et Critique Face aux Défis Actuels ?
La science n’entre jamais en scène à pas feutrés. Elle surgit, éclaire, dérange. Elle promet, inquiète, sauve parfois, déçoit souvent. Elle n’est ni une idole à vénérer ni une ennemie à abattre. Elle est une œuvre humaine, fragile et puissante, traversée de doutes, de méthodes, d’erreurs et de fulgurances. Et pourtant, en ce début de siècle troublé, une rumeur persiste, une suspicion s’installe, une défiance s’organise. Qui doute de la science, aujourd’hui, et pourquoi ce doute prend-il parfois les accents d’un procès à charge ?
Il serait commode d’accuser l’ignorance, la foi, l’irrationalité. Il serait confortable de croire que le soupçon naît là où l’éducation s’arrête, là où la croyance supplante la raison. Mais les faits, patiemment observés sur près d’un demi-siècle, racontent une autre histoire. En France, les enquêtes successives sur l’image de la science montrent un glissement silencieux : la religion ne fracture plus, le diplôme ne protège plus. Le doute circule autrement. Il se nourrit de scandales passés, de crises sanitaires, de paroles politiques brouillées. Il se glisse dans les interstices de la confiance institutionnelle (affaiblie par des décennies de désillusions).
Il faut ici distinguer. Distinguer les scientifiques, femmes et hommes de rigueur, de patience et d’humilité, des scientifrics, figures hybrides, médiatiques, parfois pétries de certitudes hâtives, promptes à confondre autorité et vérité. Cette confusion est fatale. Elle nourrit l’amalgame, elle enflamme la critique, elle transforme la vigilance légitime en rejet global. La science, dès lors, n’est plus perçue comme une quête, mais comme un pouvoir. Un pouvoir soupçonné d’abus, d’intérêts cachés, de compromissions économiques (peur ancienne, jamais tout à fait dissipée).
La pandémie a agi comme un révélateur. Jamais la science n’a été aussi visible, jamais elle n’a été aussi contestée. Des protocoles évolutifs ont été interprétés comme des contradictions, des débats internes comme des aveux de faiblesse. Le temps long de la recherche s’est heurté à l’impatience sociale. Et sur ce terrain instable, la parole politique s’est invitée, parfois pour éclairer, souvent pour instrumentaliser. Le doute scientifique est alors devenu un marqueur identitaire, un drapeau brandi contre des élites supposées, une arme rhétorique dans des combats qui dépassent largement la vérité des faits.
Pourtant, critiquer la science n’est pas la nier. Interroger ses usages n’est pas la renier. Une société adulte ne se contente pas de croire : elle comprend, elle questionne, elle discute. Mais encore faut-il que cette critique demeure informée, proportionnée, honnête. Car lorsque le soupçon devient systématique, lorsque le consensus devient suspect par principe, lorsque la complexité est réduite à un complot, alors le doute cesse d’être fécond. Il devient stérile. Il devient destructeur.
Comme l’écrivait « La science coexiste avec d’autres formes de savoirs, mais elle demeure notre meilleur outil pour comprendre le monde », Edgar Morin nous rappelle que la science n’est ni totale ni tyrannique, mais indispensable. Elle n’exige pas la soumission, elle appelle la responsabilité. Elle n’impose pas le silence, elle réclame le dialogue.
Aujourd’hui, plus que jamais, il nous faut défendre une science vivante, imparfaite, discutée, mais respectée. Une science qui accepte la distance critique sans sombrer dans le discrédit. Une science habitée par l’éthique autant que par la méthode. Refuser le scientoscepticisme instrumentalisé, ce n’est pas refuser le doute ; c’est refuser sa caricature. Car une société qui renonce à la science renonce, en silence, à sa capacité de discernement. Et sans discernement, il n’est ni liberté durable ni avenir commun.
Références principales
- L’image de la science – Enquête CDSP – 2021
- Baromètre de l’esprit critique – Universcience – 2024
- La science en société : confiance et controverses – CNRS – 2023
- Public attitudes toward science – Pew Research Center – 2022







Laisser un commentaire