Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Quand L’État Tue Les Vaches

Quand L’État Tue Les Vaches

Ou Comment Une Crise Sanitaire Révèle Une Crise Démocratique

Souveraineté Alimentaire, Éthique Et Conflits D’intérêts

Les images ont sidéré. Des gendarmes casqués, des blindés, un hélicoptère, des gaz lacrymogènes. En face, des paysan·ne·s, quelques dizaines tout au plus, et derrière elles et eux, des vaches. Des vaches promises à l’abattage après la détection d’un seul cas de dermatose nodulaire. Cette scène, survenue en Ariège, dit quelque chose de plus large que la gestion d’une maladie animale. Elle raconte notre rapport au vivant, au pouvoir, et à la parole scientifique.

La question posée par une enfant – « Pourquoi on tue toutes les vaches d’un troupeau quand une seule est malade ? » – n’est pas naïve. Elle est politique. Elle pointe une dissonance majeure entre le discours officiel, fondé sur la précaution sanitaire, et la réalité des faits scientifiques. La dermatose nodulaire est une maladie virale bovine, non transmissible à l’humain, dont la mortalité reste faible dans la majorité des cas. De nombreux travaux vétérinaires soulignent la possibilité de guérisons spontanées et l’existence de stratégies alternatives à l’abattage systématique, comme l’isolement des animaux atteints ou une vaccination ciblée.

La thèse que je défends est simple : l’abattage massif de troupeaux entiers, dans ce contexte précis, relève moins d’une nécessité sanitaire que d’un choix politique, économiquement et éthiquement discutable. Ce choix est d’autant plus problématique qu’il est soutenu par des acteurs dont les intérêts ne sont pas neutres.

Premier argument : la science n’impose pas l’abattage total. Des chercheuses et chercheurs et vétérinaires reconnu·e·s rappellent que les protocoles appliqués sont hérités de schémas anciens, pensés pour des maladies autrement plus létales. L’Organisation mondiale de la santé animale elle-même reconnaît l’intérêt de stratégies graduées. « Persister dans une logique binaire – tuer ou risquer – revient à ignorer l’état actuel des connaissances ».

Deuxième argument : l’impact humain est considérable. Pour un·e éleveu·r·euse, un troupeau n’est pas une variable d’ajustement. C’est un patrimoine génétique, un lien affectif, un équilibre économique fragile. Les indemnisations, même lorsqu’elles existent, ne compensent ni la perte de sens ni le traumatisme. « La dignité d’un métier se mesure à la manière dont la société protège celleux qui le font vivre », écrivait Pierre Rabhi.

Troisième argument : le rôle trouble de certains relais institutionnels. La FNSEA, syndicat majoritaire, soutient officiellement ces abattages. Or sa direction nationale est étroitement liée à des intérêts agro-industriels tournés vers l’exportation et les accords commerciaux internationaux, notamment avec le Mercosur. Ce conflit d’intérêts potentiel interroge. Affaiblir la filière bovine française, réduire le cheptel, c’est aussi ouvrir la voie à des importations massives de viande produite selon des standards environnementaux et sociaux bien moindres. (Ce point mérite d’être posé sans invective, mais sans naïveté.)

À celleux qui objectent que la vaccination généralisée serait la preuve d’une volonté de protéger le cheptel, il faut répondre avec précision. Les vaccins disponibles n’empêchent pas toujours l’infection, peuvent compliquer les diagnostics, et posent des questions sanitaires encore débattues. Là encore, la nuance s’impose, loin des slogans.

Ce que révèle cette crise, c’est une manière de gouverner par la peur et la force, au détriment du dialogue et de l’intelligence collective. Nous avons vu, lors de la crise Covid, combien la confiance est un bien précieux et fragile. Traiter les paysan·ne·s comme des perturbatrices et perturbateurs, et les animaux comme des variables sacrifiables, ne peut que l’éroder davantage.

Il est temps de changer de cap. De réinterroger nos protocoles à l’aune de la science contemporaine, de l’éthique animale, et de la souveraineté alimentaire. De demander des comptes aux organisations qui parlent au nom du monde agricole sans toujours en défendre les intérêts. Et surtout, de se souvenir que notre rapport au vivant dit beaucoup de la société que nous voulons être.

Références principales

  1. L’abattage des bovins scientifiquement injustifié – 14 décembre 2025
  2. Dermatose nodulaire : retour sur deux nuits de tension en Ariège – 15 décembre 2025
  3. La Cour des comptes préconise de réduire le nombre de bovins – 23 mai 2023
  4. À la tête de la FNSEA, qui est Arnaud Rousseau – 21 juillet 2025

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