Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Quand La Lumière S’éteint Sur Le Cours Napoléon

Quand La Lumière S’éteint Sur Le Cours Napoléon

Un Midi D’Hiver Où Le Silence A Gagné

Chronique D’Une Fatalité Ordinaire

Il était un peu plus de midi, cette heure fragile où la ville respire encore avant l’agitation de l’après-midi, lorsque le cours Napoléon a vacillé. Les vitrines brillaient, les terrasses murmuraient, les pas se croisaient sans se voir vraiment… puis tout s’est figé. Un homme avançait, seul, armé d’un couteau, porté par une errance que personne n’a su, ou pu, interrompre à temps. La scène s’est déroulée sous le regard d’une foule incrédule, comme si la réalité avait soudain pris une épaisseur trop lourde à porter.

Je suis troublée par cet événement, par ce malaise diffus qui s’insinue dans chaque témoignage, dans chaque déclaration officielle. Une gêne palpable, comme si quelque chose résistait à être dit, comme si, au-delà des faits, un silence collectif s’installait, lourd de responsabilités partagées. On décrit les gestes, on reconstitue les minutes, on répète les procédures. Mais qui parle encore de l’homme avant qu’il ne devienne une menace ? Qui évoque son chemin, sa solitude, cette lente dérive qui l’a mené jusqu’au cœur battant d’Ajaccio ?

Les policiers ont tenté, dit-on, de l’arrêter autrement. Le taser n’a pas suffi. Le corps ne cédait pas, la volonté semblait absente, comme si la peur n’avait plus de prise. Puis le couteau levé, la distance qui se réduit, l’instant où tout bascule. Trois tirs. Le thorax atteint. La vie qui s’échappe sur le bitume, sous le regard de celleux qui, quelques secondes plus tôt, faisaient leurs courses de Noël. La lumière du jour était intacte, indifférente.

Des témoins racontent. Des client·e·s crient, se réfugient, jettent des chaises, des tables, tentent l’impossible pour protéger une mère, un enfant, un inconnu. Cette solidarité brute, instinctive, née de la peur et de l’humanité mêlées, dit quelque chose de nous. Elle dit aussi l’abandon, le sentiment que les filets ont cédé bien avant ce midi tragique.

L’enquête dira si l’homme représentait encore une menace au moment des tirs. Les expert·e·s rappellent que l’usage de la force létale est encadré par un principe de stricte nécessité et de proportionnalité, que la légitime défense se mesure à la seconde près. Des études reconnues soulignent pourtant la difficulté, pour les forces de l’ordre, de gérer des situations impliquant des personnes en crise psychique sévère, là où le temps manque et où la formation atteint ses limites. Ce n’est pas une faute individuelle que je perçois ici, mais un échec collectif, lentement construit.

Car pendant que certain·e·s se dédouanent, d’autres récupèrent. La récupération politique de l’extrême droite se délecte, en bon charognard, de la dépouille d’un homme, réduisant une existence à un argument, une mort à un slogan. Cette violence-là est aussi insupportable que celle qui a fait couler le sang. Elle nie la complexité, elle efface la nuance, elle ferme toute possibilité de réflexion commune.

Albert Camus écrivait : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Ici, mal regarder cette mort serait y consentir. Car derrière le couteau, il y avait un jeune homme, 26 ans, des papiers incertains, une histoire morcelée, des alertes déjà ignorées. Derrière les uniformes, il y avait des agent·e·s confronté·e·s à l’irréversible. Et autour, une ville entière renvoyée à ses failles.

Il reste maintenant le silence après le bruit. Un silence qui appelle autre chose que des slogans ou des classements sans suite. Il appelle des moyens pour la santé mentale, des réponses sociales, du temps humain là où l’urgence règne. Il appelle, surtout, le courage de regarder cette fatalité en face, pour qu’elle ne devienne pas habitude.

Parce qu’aucune ville ne devrait s’habituer à voir la lumière s’éteindre ainsi, en plein jour.


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