De Jaurès au libéralisme : l’éternelle contradiction du Parti Socialiste
Comment le PS a voté le budget Macron et trahi ses engagements sociaux
Il faut reconnaître au Parti socialiste un talent rare et constant : celui de donner l’impression de découvrir sa propre trahison comme on tomberait, feignant la surprise, sur une vieille photo compromettante. À chaque époque, le même soupir indigné, la même mine offusquée, et la même rengaine : ce n’est pas une trahison, c’est un compromis. Comprendre : un renoncement maquillé en maturité, un pas de côté présenté comme une haute voltige morale.
Dernier épisode en date : le vote du budget de la Sécurité sociale, ce texte aimablement austéritaire pondu par le gouvernement macroniste, adopté grâce à l’appui décisif du PS. Un parti d’opposition qui vote un budget gouvernemental, voilà qui mériterait un César du meilleur second rôle politique. On ne s’oppose plus, on accompagne, comme on tiendrait la porte à celui qui vous pousse dehors.
On nous expliquera, avec l’air grave des gens raisonnables, qu’il fallait éviter le chaos, la dissolution, la fin du monde et peut-être même le retour des Spice Girls. La peur des élections est devenue la boussole idéologique du PS, cette formation jadis ouvrière aujourd’hui si délicatement installée dans les velours parlementaires qu’elle confond la lutte sociale avec la gestion de carrière. (La stabilité avant la solidarité, voilà un slogan qui aurait fait fureur chez les notaires).
Car enfin, de quoi parle-t-on ? D’un budget qui limite les arrêts maladie, rabote l’hôpital public et renvoie la justice sociale à un prochain quinquennat hypothétique. Tout ce que le PS avait promis de combattre. Tout ce qu’il a pourtant validé, au nom d’un prétendu sens des responsabilités. Responsables, oui : de l’effritement méthodique de la confiance populaire.
La France insoumise crie à la rupture, les écologistes hésitent, s’abstiennent, tergiversent, comme on regarde un incendie en se demandant si appeler les pompiers ne serait pas excessif. La gauche ressemble alors à une réunion de copropriété où chacun défend son étage pendant que l’immeuble brûle. Et le PS, fidèle à lui-même, sort l’extincteur… pour arroser le feu avec de l’eau tiède.
Ce n’est pourtant pas une nouveauté. Depuis la SFIO et l’Union sacrée de 1914, le logiciel est le même : gouverner d’abord, transformer ensuite, renoncer souvent. Le Front populaire traîne des pieds, l’Espagne républicaine attendra, l’Algérie saigne, les grèves d’après-guerre sont matées. Puis viendra le tournant libéral de 1983, les privatisations sous Jospin, le quinquennat Hollande et son cortège de reniements, des lois Macron à la loi El Khomri. La trahison n’est pas un accident, c’est une habitude bien entretenue.
Comme l’écrivait Jean Jaurès, « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ». Jean Jaurès. Un homme que le PS cite souvent, mais n’écoute presque jamais.
Aujourd’hui, le parti à la rose semble convaincu qu’il renaîtra des cendres du macronisme, tel un phénix social-libéral, courtisant un électorat centriste orphelin. Quitte à perdre définitivement celleux qui croyaient encore à une gauche de rupture, à une politique fidèle à ses engagements, à une parole qui ne se dédit pas au premier vote sensible.
Alors oui, je regarde ce spectacle avec une lassitude ironique, et parfois un rire jaune. Car quand un parti a trahi hier, trahit aujourd’hui, il trahira demain. Et l’abstention, ce monstre tant redouté, n’est souvent que la politesse désespérée de celleux qui ne veulent plus être pris·es pour des figurant·es.
Le Parti socialiste n’est peut-être pas mort. Mais il souffre d’une maladie chronique : l’amour de soi avant l’amour des autres. Et dans ce narcissisme politique, la gauche perd toujours quelque chose de plus précieux que des sièges : sa crédibilité.






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