La Démocratie Face À La Haine Ordinaire
Pourquoi Le Sénat Tire La Sonnette D’Alarme
Je l’écris sans détour : je suis chaque jour un peu plus inquiète par la montée en puissance des mouvements et réseaux masculinistes dans le monde. Non pas parce qu’ils seraient bruyants ou marginaux, mais parce qu’ils s’installent durablement dans nos espaces numériques, nos imaginaires collectifs et, désormais, dans le champ des préoccupations institutionnelles. Lorsque le Sénat français s’en saisit, ce n’est pas par effet de mode, mais parce que quelque chose s’est déplacé. La misogynie n’est plus seulement une opinion rétrograde : elle devient une matrice idéologique.
Ce qui frappe d’abord, c’est la diversité apparente de ces mouvements. Derrière des labels parfois techniques ou ironiques, se déploie une même narration : celle d’une masculinité en crise, assiégée par le féminisme et trahie par la modernité. Des pick-up artists aux men’s rights activists, jusqu’aux communautés incels les plus radicalisées, le discours varie, mais le cœur demeure. Les difficultés individuelles sont transformées en ressentiment collectif. L’échec amoureux, social ou professionnel devient politique. Et surtout, la responsabilité est déplacée : ce n’est jamais le système, mais toujours les femmes, ou l’égalité elle-même, qui seraient fautives.
Les réseaux sociaux jouent ici un rôle déterminant. Ils offrent à ces discours un terrain d’expansion inédit, algorithmique, émotionnel. La colère y circule plus vite que la nuance. Les plateformes transforment l’isolement en communauté, la frustration en identité. Ce n’est pas un hasard si les travaux parlementaires pointent la jeunesse comme public prioritaire : les adolescents et jeunes adultes y trouvent des récits simples, séduisants, parfois lucratifs pour leurs promoteurs, qui promettent puissance, reconnaissance et revanche symbolique. (Dans un monde perçu comme hostile, ces récits fonctionnent comme des refuges idéologiques.)
Mais l’enjeu dépasse largement la question des rapports de genre. Ce que le Sénat nomme désormais clairement, c’est un risque de radicalisation. Les services de renseignement, les chercheuses et chercheurs en sciences sociales le montrent : la haine des femmes constitue souvent une porte d’entrée vers d’autres formes de haine. Racisme, complotisme, autoritarisme s’y greffent avec une inquiétante facilité. La violence verbale prépare parfois la violence réelle. Les attentats revendiqués par certains incels à l’étranger ont brisé l’illusion d’une simple sous-culture en ligne.
Face à cela, la tentation serait de répondre par la seule censure ou la seule répression. Ce serait une erreur. Réguler les contenus haineux est nécessaire, mais insuffisant. L’enjeu est aussi éducatif, culturel, profondément politique. Former les forces de l’ordre à reconnaître ces discours codés, oui. Exiger des plateformes une responsabilité équivalente à celle imposée face au terrorisme, oui. Mais surtout, réinvestir l’éducation à l’égalité, à l’esprit critique, à l’empathie, dès le plus jeune âge. Car ce qui se joue ici, c’est la capacité de nos démocraties à offrir d’autres récits que ceux de la domination et du ressentiment.
Comme l’écrivait « On ne naît pas femme : on le devient » Simone de Beauvoir. On pourrait ajouter : on ne naît pas masculiniste, on le devient aussi. Et cela engage une responsabilité collective. Refuser la banalisation de la haine, ce n’est pas refuser le débat ; c’est refuser qu’il se fasse au prix de l’égalité et de la dignité humaine.
La prise de conscience institutionnelle est un premier pas. Elle doit désormais s’accompagner d’une mobilisation sociale, éducative et internationale. Car lutter contre le masculinisme, ce n’est pas opposer les sexes : c’est défendre une démocratie capable de tenir ensemble liberté, égalité et justice sociale. Le débat est ouvert. Il nous concerne toutes et tous.






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