Noël, Un Moment Pour Réapprendre À Dire Non À La Guerre
Pourquoi Une Guerre Totale Détruirait Notre Modèle De Vie
La guerre en Europe n’est plus une abstraction stratégique. Elle est redevenue un mot prononcé sans trembler, comme s’il s’agissait d’une option parmi d’autres. Cette banalisation est peut-être le signe le plus inquiétant de notre époque. En ce jour de Noël (c’est précisément pour cela que cet article est écrit), alors que les sociétés célèbrent la lumière, la famille et la transmission, il est urgent de rappeler une évidence devenue inconfortable : un conflit total en Europe ne serait pas une crise de plus, mais une rupture civilisationnelle.
Depuis 1945, l’Europe s’est construite sur un pacte implicite : la paix n’est pas naturelle, elle se fabrique. Elle repose sur des institutions, des échanges, des compromis parfois frustrants, mais indispensables. Ce choix a permis une prospérité sans précédent, une espérance de vie élevée, des systèmes de santé solides, une circulation des idées et des personnes unique dans l’histoire. Aujourd’hui, cet équilibre est fragilisé par la tentation du rapport de force, nourrie par les peurs, les humiliations géopolitiques et la croyance persistante dans une guerre « maîtrisable ».
Les faits sont pourtant clairs. Les sociétés européennes de 2025 sont des systèmes de haute complexité, interdépendants à l’extrême. L’énergie circule par des réseaux transfrontaliers, l’alimentation dépend de chaînes logistiques tendues, la santé repose sur des flux continus de données, de médicaments et de personnel. Le numérique irrigue chaque geste du quotidien. Selon de nombreux travaux en sciences des systèmes et en économie de la résilience, une guerre moderne viserait en priorité ces infrastructures invisibles : satellites, câbles sous-marins, centres de données, réseaux électriques. Il n’y aurait pas de front lointain, mais une paralysie immédiate.
Penser qu’une telle guerre pourrait être « propre » ou circonscrite relève de la fiction. Ce serait une guerre contre les conditions mêmes de la vie contemporaine. Les hôpitaux, déjà sous tension, ne tiendraient pas longtemps. Les villes deviendraient dépendantes de décisions logistiques impossibles à garantir. Les plus vulnérables paieraient le prix fort, comme toujours. Mais cette fois, personne ne serait réellement à l’abri.
Au-delà des dégâts matériels, le choc serait moral et psychologique. L’Europe s’est lentement reconstruite sur la confiance, la coopération et la mémoire des catastrophes passées. Une guerre totale balayerait cet héritage. Elle installerait une méfiance durable entre les peuples, un repli identitaire profond, un traumatisme transmis bien au-delà de la génération actuelle. Les sciences sociales l’ont montré : les conflits de haute intensité laissent des cicatrices culturelles et politiques qui durent des décennies.
Face à cela, le courage n’est pas militaire, il est diplomatique. Il est dans la capacité à maintenir des canaux de communication, même lorsque le dialogue est impopulaire. Il est dans la transparence sécuritaire, qui permet d’éviter les erreurs de calcul. Il est dans l’interdépendance assumée, non comme une faiblesse, mais comme une assurance-vie collective. Lorsque la guerre devient mutuellement suicidaire, la paix cesse d’être naïve.
Il est aussi dans le dialogue des sociétés civiles. Les échanges universitaires, culturels, scientifiques ont longtemps été considérés comme secondaires. Ils sont en réalité un pilier stratégique de la paix. Ils humanisent, ils nuancent, ils empêchent la diabolisation totale. Une anecdote me revient souvent : dans les années les plus tendues de la guerre froide, des chercheuses et chercheurs continuaient à se rencontrer dans des colloques discrets, convaincus que parler était déjà résister à l’effondrement.
La paix n’est ni molle ni passive. Elle exige une vigilance constante et une lucidité sans complaisance. Comme l’écrivait Hannah Arendt, « La guerre n’instaure pas la paix, elle détruit le monde commun ». Cette phrase résonne aujourd’hui avec une force particulière. Défendre la paix, ce n’est pas nier les conflits, c’est refuser qu’ils deviennent totaux.
À Noël, le message de paix peut sembler modeste, presque dérisoire face aux chars et aux discours martiaux. Pourtant, il commence toujours ainsi : par une parole tenue, par un refus intérieur de céder à la fatalité. L’Europe n’est pas condamnée à la guerre. Elle est condamnée, en revanche, à choisir avec lucidité ce qu’elle veut préserver : un modèle de vie fondé sur la dignité humaine, la coopération et la responsabilité partagée. La question n’est pas de savoir si la paix est difficile. Elle l’est. La question est de savoir si nous pouvons survivre sans elle.







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