Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Au-Delà Du QI, Ce Que Nous Refusons De Voir

Au-Delà Du QI, Ce Que Nous Refusons De Voir

Quand La Mesure Devient Une Violence Sociale

Repenser L’Intelligence À L’Épreuve De La Dignité Humaine

La scène est insoutenable. Un homme rit, une audience commente, des personnes en situation de handicap sont exposées, humiliées, réduites à des caricatures. La récente affaire Jean Pormanove n’est pas un simple dérapage médiatique : elle agit comme un révélateur brutal de ce que notre société tolère encore. Si j’écris aujourd’hui, c’est parce que ces violences handiphobes ne sont pas des accidents, mais le produit d’un imaginaire collectif profondément structuré par une idée dangereuse : celle d’une intelligence mesurable, hiérarchisable, et donc méprisable lorsqu’elle serait jugée insuffisante.

Nous continuons de croire que l’intelligence se résume à un chiffre. Le quotient intellectuel, ou QI, occupe une place singulière dans nos représentations : il rassure par son apparente neutralité scientifique, il classe, il ordonne. Pourtant, ce chiffre n’est ni neutre ni anodin. Il agit comme un instrument social de tri, dont les effets dépassent largement le cadre clinique ou éducatif. Lorsqu’un seuil – souvent fixé autour de 70 – devient un marqueur de déficience intellectuelle, il ne décrit pas seulement une capacité cognitive : il produit une assignation sociale.

La thèse que je défends est simple et exigeante : réduire l’intelligence au QI participe activement à la stigmatisation des personnes vivant avec une déficience intellectuelle et contribue à fabriquer du handicap social. Ce mécanisme n’est pas nouveau. Il s’enracine dans une histoire longue, marquée par la psychométrie du début du XXe siècle, mais aussi par des idéologies eugénistes et coloniales qui cherchaient à hiérarchiser les vies humaines sous couvert de science. Mesurer, classer, normaliser : autant de gestes qui ont servi à exclure.

Certes, les outils ont évolué. Les classifications contemporaines insistent désormais sur le fonctionnement adaptatif, sur les capacités à vivre au quotidien, à interagir, à décider. Mais dans les faits, le score continue de peser plus lourd que la personne. Un QI jugé faible suffit encore à abaisser les attentes, à justifier une infantilisation chronique, à limiter l’accès à l’autonomie, au travail, à la citoyenneté pleine et entière. Nous prétendons protéger, mais nous enfermons.

Cette logique repose sur une vision étroite de l’intelligence, pensée comme un capital individuel à rentabiliser. Or, l’intelligence est aussi relationnelle, située, collective. Elle se déploie dans les gestes, dans la créativité, dans les savoir-faire invisibilisés, dans les stratégies d’adaptation élaborées au quotidien par des personnes que l’on dit « déficientes ». De nombreuses recherches en psychologie, en sociologie, en études du handicap convergent sur ce point : ce que nous appelons intelligence est indissociable des environnements sociaux, éducatifs et culturels. La mesurer hors contexte revient à la dénaturer.

À celleux qui objectent que le QI reste un outil nécessaire pour identifier des besoins et organiser des soutiens, il faut répondre sans caricature. Oui, tout outil peut être utile, à condition de ne pas devenir une finalité. Le problème n’est pas l’existence de la mesure, mais son hégémonie. Lorsqu’un score se transforme en identité sociale, lorsqu’il autorise la moquerie publique ou la déshumanisation médiatique, il cesse d’être un instrument clinique pour devenir un dispositif de pouvoir.

Comme l’écrivait le sociologue Erving Goffman, « la stigmatisation réduit une personne entière et normale à une identité discréditée ». Cette phrase, aujourd’hui encore, éclaire cruellement nos pratiques collectives. Nous persistons à confondre accompagnement et paternalisme, aide et domination, protection et dépossession.

Repenser l’intelligence est donc une urgence politique. Cela implique de changer nos normes, de déplacer nos critères de valeur, de rompre avec une vision productiviste de l’humain. La dignité ne se mesure pas. Elle se reconnaît. Elle suppose que nous écoutions les personnes concernées, que nous construisions avec elles des formes de participation sociale qui ne soient pas conditionnées à une performance cognitive standardisée.

L’affaire Jean Pormanove nous met face à une responsabilité collective. Voulons-nous continuer à rire de celleux que nos propres normes ont rendus vulnérables ? Ou sommes-nous capables de regarder en face ce que nos outils, nos discours et nos médias produisent comme violences ordinaires ? La manière dont une société définit l’intelligence dit toujours quelque chose de ce qu’elle considère comme une vie digne d’être vécue. Il est temps d’élargir cette définition.


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