Les petits billets de Letizia

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Je ne peux rien enseigner à personne, Je ne peux que les faire réfléchir. (Socrate 470/399 A.JC)

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Les Fesses Des Femmes : Du Corps Invisible Au Corps Surveillé

Les Fesses Des Femmes : Du Corps Invisible Au Corps Surveillé

Entre Désir, Normes Et Résistances Féministes

Pourquoi Les Fesses Des Femmes Sont Devenues Un Champ De Bataille Symbolique

J’écris cet article parce que (Mon amie Barbie (prénom changé) s’est présenté à moi, un jour de Mars dernier avec une paire fesses à damner un saint, le tout, bien moulée dans un legging. Ce jour-là, après m’être demandée quelle mouche l’avait piquée, j’ai pensé, sans juger, au regard des autres, chose qui ne me préoccupe jamais d’ordinaire, et à mon regard féministe.) Cette scène banale, presque anodine, a agi comme un révélateur. Non pas d’un choix individuel à interroger, mais d’un climat collectif où certaines parties du corps féminin deviennent soudain centrales, commentées, évaluées, prescrites.

Pendant des siècles, les fesses n’ont pas occupé cette place. Dans l’Europe moderne, le bas du corps est longtemps resté hors du champ esthétique, simple support du buste, zone fonctionnelle plus que désirable. Des historiennes et historiens du corps ont montré que cette hiérarchie visuelle n’était ni naturelle ni universelle. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que le regard change, avec la généralisation des miroirs, l’évolution des vêtements, l’apparition des loisirs balnéaires et la mise en spectacle croissante des corps féminins. La littérature s’en fait l’écho, décrivant progressivement cuisses et postérieurs là où ils étaient auparavant tus.

Le XXe siècle marque un autre tournant, paradoxal. Tandis que les images se multiplient, la norme se resserre. La minceur devient synonyme de modernité, de maîtrise de soi, de réussite sociale. Le gras, notamment sur les hanches et les fesses, est traqué, médicalisé, disqualifié. La cellulite, auparavant ordinaire, devient un problème à corriger. Cette pathologisation n’est pas neutre : elle nourrit des industries entières, de la presse féminine aux produits cosmétiques, en passant par les programmes de remise en forme. Le corps féminin se transforme en chantier permanent.

Dans le même temps, les imaginaires racialisés persistent. Les fesses dites généreuses sont associées à des corps non blancs, à la fois sexualisés et stigmatisés, tandis que le corps blanc est présenté comme norme respectable. Cette opposition, héritée de l’histoire coloniale, continue d’imprégner la culture populaire. Elle explique en partie pourquoi la valorisation actuelle des formes dites curvy reste profondément ambivalente : célébrée chez certaines, suspecte chez d’autres.

Depuis les années 2010, un nouvel idéal s’impose, porté par des célébrités ultra-médiatisées et amplifié par les réseaux sociaux. Fesses rondes, fermes, taille fine : le corps désirable se veut plus courbe, plus affirmé. Le discours dominant parle de diversité, d’acceptation, de réappropriation. Pourtant, cet idéal est tout sauf accessible. Il repose sur des corps savamment construits, retouchés, entraînés, parfois opérés. La liberté affichée masque une discipline accrue, un contrôle constant, une exigence de cohérence esthétique quasi impossible à tenir sans ressources économiques et symboliques importantes.

C’est ici que le regard féministe devient indispensable. Comme l’a formulé Susan Bordo, « le corps féminin est l’un des principaux lieux où s’inscrivent les contraintes sociales invisibles ». Cette analyse éclaire un mécanisme récurrent : à mesure que les femmes gagnent des droits et des espaces d’autonomie, de nouvelles normes corporelles émergent, plus subtiles mais tout aussi contraignantes. Les fesses, aujourd’hui, concentrent ces tensions. Elles sont à la fois célébrées et surveillées, désirées et normalisées.

Il ne s’agit pas de juger les choix individuels, ni de hiérarchiser les formes de féminité. Il s’agit de comprendre ce que ces obsessions disent de notre époque. Le corps des femmes reste un langage social, un terrain où se jouent des rapports de pouvoir, de classe, de race et de genre. Refuser de l’analyser, c’est laisser ces normes agir en silence.

En observant Barbie ce jour-là, je n’ai pas vu une provocation. J’ai vu un symptôme. Celui d’une société qui prétend libérer les corps tout en les enfermant dans des cadres toujours plus précis. Déplacer le regard, c’est commencer à desserrer l’étau. Cela passe par une vigilance collective, une responsabilité médiatique, et par la possibilité, enfin, de penser le corps féminin autrement que comme un objet à optimiser.


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