Flâner Autrement Pour Rester Fidèle À Nos Valeurs
Shein Dans Les Grands Magasins, Le Signal De Trop
J’ai toujours aimé flâner dans les grands magasins français. Ces lieux où l’on venait sans urgence, pour regarder, toucher, ressentir. Ils incarnaient une certaine idée du commerce : le temps long, la qualité, une promesse d’élégance accessible par l’expérience plus que par l’accumulation. L’arrivée de l’ultrafast-fashion Shein dans ces espaces symboliques marque une rupture nette, presque brutale, avec cet imaginaire collectif. Elle ne relève pas d’un simple choix commercial, mais d’un basculement de sens.
Le contexte est connu. Shein, géant mondial de l’ultrafast-fashion, a bâti son succès sur une production accélérée, des milliers de nouveautés quotidiennes et des prix défiant toute concurrence. Ce modèle, largement documenté par les travaux académiques et les ONG environnementales, repose sur une extraction massive de ressources, une pollution textile considérable et une logique de surconsommation permanente. Le voir désormais s’installer physiquement au cœur de grands magasins historiquement associés au luxe français interroge profondément. Pas seulement sur le plan écologique, mais aussi culturel et symbolique.
Les défenseurs de cette implantation invoquent le pouvoir d’achat, l’attractivité commerciale, la nécessité de faire venir un public plus jeune. Ces arguments méritent d’être entendus. La réalité sociale est complexe, et le prix demeure un critère décisif pour de nombreuses personnes. Mais reconnaître cette complexité ne signifie pas tout accepter. Car les faits sont là : l’industrie de la mode figure parmi les plus polluantes au monde, et l’ultrafast-fashion en constitue l’expression la plus extrême. Les études montrent que ce modèle alimente des achats impulsifs, une rotation accélérée des vêtements et, paradoxalement, une insatisfaction durable.
Sur le plan psychologique, la recherche est éclairante. Acheter toujours plus, toujours plus vite, n’apporte ni apaisement ni bien-être durable. Au contraire, les travaux sur la dissonance cognitive montrent que porter des vêtements associés à des impacts sociaux et environnementaux négatifs peut générer culpabilité et malaise. À l’inverse, des expériences menées sur la sobriété vestimentaire ou le minimalisme indiquent un gain en clarté mentale et en satisfaction de vie. Comme le résume la sociologue Kate Fletcher : « La mode durable n’est pas une question de produits, mais de relations, de valeurs et de rythmes », Kate Fletcher.
L’enjeu dépasse donc largement le porte-monnaie. Introduire l’ultrafast-fashion dans les temples du commerce français revient à brouiller les repères, à diluer la promesse d’une expérience fondée sur la qualité, la rareté et le sens. Pour beaucoup, cette contradiction est devenue trop visible. Elle explique les réactions de rejet, les départs de certaines marques partenaires, et la défiance exprimée par des institutions publiques.
Face à cela, un choix s’impose, calmement mais fermement. Flâner ailleurs. Se tourner vers la seconde main, les créateurs et les créatrices engagé·e·s, les circuits plus sobres. Non par posture morale, mais par cohérence. Car refuser ce glissement mercantile, c’est aussi refuser l’idée que ma seule valeur de consommatrice réside dans la vitesse et le volume.
L’écologie n’est pas une affaire de perfection, mais de direction. En cessant de cautionner des alliances qui vident les lieux de leur sens, chacun·e peut contribuer à redessiner un imaginaire du commerce plus respectueux du vivant et de nos équilibres intérieurs. Les grands magasins ont longtemps été des espaces de rêve. Il serait temps qu’ils redeviennent des espaces de responsabilité.







Laisser un commentaire